Université : des études pour tous ou pour les “happy few” ? – Contribution ÉÉ-PSO

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Publié le : 16/05/2017

Université : des études pour tous ou pour les “happy few” ?

 

Par une circulaire du 24 avril 2017 (http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=115792), le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, institue le tirage au sort pour l’accès en licence. Il boucle la boucle en entérinant une situation qu’il a lui-même contribué à créer : il n’y a pas assez de place pour tous les étudiants qui souhaitent entrer à l’université.

La circulaire prévoit en effet la manière selon laquelle les bacheliers qui souhaiteront s’inscrire en première année de licence (y compris les études médicales) seront triés si leur nombre « excède les capacités d’accueil ». Elle présuppose donc la fixation préalable de « capacités d’accueil » et aussi, ô surprise, l’extension à la licence du dispositif d’accès sélectif au master. Reconnaissons au ministère sa cohérence qui fait tant défaut à d’autres.

Ce dispositif de « tri sélectif » – il n’y a pas d’autre terme en effet – prévoit ainsi de commencer par trier selon l’origine géographique, puis selon la position du vœu par rapport à l’ensemble de ceux qui ont été formulés sur APB, et enfin, cerise sur le gâteau, par tirage au sort pour départager les (heureux ?) candidat-es.

Ce faisant, le ministère tente d’officialiser des pratiques illégales, qui existaient cependant dans certaines universités, pour certaines filières comme les STAPS et la psychologie (pour le tirage au sort), ou pour le classement des vœux des néo-bacheliers comme à Nantes. Il le tente de manière (délibérément ?) maladroite, par le biais d’une circulaire dont il sait bien (ou devrait savoir) qu’elle est cependant dépourvue de toute portée normative – une circulaire qui fait du reste l’objet d’un recours en annulation par une association étudiante et qui a de bonnes chances d’aboutir favorablement, ce dont on doit se féliciter. Étudiant-es et personnels ne peuvent que constater, en effet, combien les moyens en enseignants, en locaux et matériel et en ressources budgétaires font cruellement défaut dans beaucoup de formations, depuis de (trop) longues années déjà. Dans un contexte de forte hausse démographique des étudiants et de baisse des recrutements, la mise en place de ce dispositif est aussi une manière d’inscrire le principe d’austérité comme un cadre irréfragable.

Au lieu de poser la (bonne) question de savoir comment faire en sorte d’accueillir dans de bonnes conditions ces nouveaux étudiants, le ministère préfère donner des « recettes » pour les sélectionner, séparer le bon grain de l’ivraie ? Il s’agit clairement d’une récidive qui renforce le principe de la sélection en master sous couvert de fixation de capacités d’accueil, dont elle est la déclinaison au niveau de l’entrée en licence.

Selon ÉÉ-PSO, il était évident et même inévitable que la fixation de capacités d’accueil et, donc, la mise en place, hypocrite, d’une sélection en master allait à court terme s’étendre à la licence. C’est chose faite dorénavant. Certes, la circulaire n’impose pas à toutes les licences de fixer des capacités d’accueil et les plus optimistes s’empresseront de penser que seules quelques filières en tension vont utiliser les moyens proposés. Hélas, mille fois hélas, l’expérience de la loi master est d’ores et déjà très significative : la plupart des établissements ont fixé des capacités d’accueil aux masters, selon des perspectives contradictoires : limiter les flux pour effectivement « trier » les étudiants soit pour ne pas devoir accueillir celles et ceux refusé.es ailleurs !

Cette circulaire, qui s’ajoute à la loi n° 2016-1828 du 23 décembre 2016 relative aux conditions d’accès en master confond, d’une manière peut-être délibérée, l’orientation avec la sélection, oblitérant la nécessité d’un véritable service public d’information et d’orientation adapté à l’enseignement supérieur. Ce faisant également, elle en change profondément la nature. Le baccalauréat ne donne plus accès de droit à l’université, puisque ce droit sera dorénavant conditionné par les capacités d’accueil. Imagine-t-on que les bénéficiaires du droit à la santé puissent être tirés au sort pour se voir attribuer les places aux urgences ou à la maternité ?

En d’autres termes, cette circulaire contribue de façon décisive à une « privatisation » de l’ESR, ouvrant portes et fenêtres au privé, qu’il soit confessionnel ou non et à la création d’un « marché des places » en licence [1]. Pour ÉÉ-PSO, l’université doit être ouverte à tou-te-s les étudiant-es qui le souhaitent, sous seule condition de diplôme.

L’accès aux études et les parcours ne doit pas être guidé par les « besoins » économiques (plutôt des « demandes » au vrai) ni conditionné par la pénurie organisée des moyens de l’ESR. Alors que les universités font face à de nombreux défis budgétaires impliqués par la mise en place des lois LRU et LRU-2, le ministère refuse toujours de leur donner les moyens correspondant à l’augmentation du nombre de bacheliers désireux de poursuivre leurs études. Il préfère la sélection par tirage au sort à une plus juste (plus ajustée et plus équitable) répartition des moyens qui consisterait, par exemple, à intégrer dans les universités toutes les formations qui coûtent plus cher que les formations universitaires : sections de technicien supérieur, classes préparatoires, écoles diverses et surtout les ainsi nommées « grandes écoles » de la République destinées à la « reproduction » (non élargie) du système et de la société.

Le combat contre la sélection à l’entrée de l’université doit être mené d’urgence et collectivement avec les syndicats du second degré et les organisations estudiantines.


[1]. La fixation de capacités d’accueil crée une situation de rareté. Tout.e.s celles et ceux qui voudront y aller n’auront pas forcément de place. Cela crée nécessairement une « demande » de formation à laquelle on sait d’avance que les écoles privées vont répondre, car c’est toujours ce qu’elles font. Un simple exemple : quand la formation en sciences de l’éducation a été menacée à l’université de Nantes, la « Catho de l’Ouest » (Angers) s’est empressée d’ouvrir une licence de sciences de l’éducation ! Droits d’inscription de quelques milliers d’euros. Que disent les étudiants ? On serait bien allés dans le public mais ce n’est pas possible car la formation n’existe pas. Donc la rareté transforme et réduit un bien public en un bien économique marchand et augmente les parts de marché des producteurs privés (ici les écoles) quand l’offre publique quasi-gratuite est restreinte.

L'équipe ÉÉ-PSO

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